Paroles d’experts
Nous avons donné la parole à des experts afin qu’ils nous parlent des colos
Nous avons donné la parole à des experts afin qu’ils nous parlent des colos
Les enfants et les jeunes ont manqué d’interactions dans la période de confinement. Les individus ont appris isolément, les classes virtuelles étant limitées en termes d’interactions. Ce sont les interactions avec les pairs qui ont le plus manqué, les jeunes étant au quotidien uniquement avec leur famille.
J’ai aussi noté un besoin d’agir. Cette période a conduit les élèves à être spectateurs plus qu’acteurs, y compris de leur apprentissage. Bien sûr, il y a pu y avoir de l’activité durant les cours à distance, mais il ne faut pas confondre activité et activisme. Les jeunes ont besoin d’être acteur de leur projet. Beaucoup de jeunes ont été consommateurs d’écran, de manière passive. C’est assez frustrant.
Les enfants ont avant tout besoin d’agir sur leur milieu pour favoriser l’autonomie et l’émancipation. Il importe d’ailleurs de distinguer les pulsions et les besoins. Or les activités liées aux écrans sont bien plus davantage de l’ordre de la pulsion que du besoin.
Cette année, je souhaite aux jeunes qu’on leur « foute la paix » pendant leurs vacances. Les vacances n’ont pas besoin d’adjectif. Il va de soi que les vacances sont un moment d’éducation. Il n’y a pas besoin de le dire. Il faut se garder d’ajouter des adjectifs (comme dans les « vacances apprenantes »). Il y a d’autres apports, pas spécifiques à cette année mais rendus encore plus utiles. Les enfants et les jeunes vont avoir besoin de sortir de leur cercle parental, de se retrouver entre pairs, dans un espace où ils peuvent évoluer en sécurité. Ils ont besoin de sécurité, mais il ne faut pas tomber dans « l’hyper sécurité » qui bloque toute activité, toute initiative. C’est ce que je disais au début, il faut leur « foutre la paix ». C’est aussi valable pour les protocoles qui doivent être souples.
Il est important qu’ils évoluent dans un milieu riche où ils peuvent agir. Les colos sont essentielles au développement des enfants, des jeunes adultes. On créé un milieu qui est générateur de capacité d’agir. Je retourne un vieil aphorisme qui dit « quand on veut, on peut », en disant « quand on peut, on veut ». C’est cela que l’on aménage en colo. Quand on donne aux jeunes la capacité de faire, ils font. Extraordinaire !
Souvent, avant de démarrer les visios avec mes élèves, nous échangions en attendant que tout le monde arrive. Ce qui les embêtait le plus, c’était de quitter le lycée sans voir personne de ne pas avoir assez de lien social. C’est très dur. Pour rattraper ce moment, la MDL (Maison des lycéens) prépare un projet d’évènement en septembre, qui aurait dû se faire en juin.. Ce qui leur manque, c’est un rituel de fin d’année, l’occasion de recréer du lien, de faire la fête. C’est un gros manque : cela nous montre que l’école, ce n’est pas que des apprentissages. Ce sont des interactions. Il ne faut surtout pas se moquer de ce point-là, il est fondamental. Les personnes qui ironisent oublient qu’elles ont été jeunes ! Or on retrouve ces rituels en colo.
Je précise que j’ai été animateur et directeur de colo et de centre de loisirs avant de devenir prof. Cela a influencé ma décision de devenir enseignant. Pour moi, vous l’avez compris, les colos et les centres de loisirs sont des lieux d’autonomie et de prise de responsabilité. Et en affirmant cela, je veux dire aussi que l’Ecole ne l’est pas assez. Heureusement qu’il y a ces lieux-là, qui permettent aux enfants de s’exprimer.
Les activités de vacances et de loisirs prennent en compte l’enfant et pas seulement l’élève. J’ai l’exemple d’enseignants qui sont dans une école qui devient le mercredi et pendant les vacances, un centre de loisirs. Que constatent les enseignants quand ils y repassent pendant ces moments-là ? Ce sont les mêmes élèves au même endroit mais ce ne sont pas les mêmes enfants. Ils découvrent des choses sur leurs élèves : leur rapport à l’espace est différent et leur expression est facilitée. En tant que prof, on enseigne à des « troncs », à des élèves qui n’ont pas de corps. L’idée dans ces espaces éducatifs est de prendre l’enfant ou le jeune dans sa globalité. Il y a un travail de complémentarité à faire par rapport à l’Ecole. On voit les jeunes autrement, avec une autre approche que dans un établissement scolaire et cela peut nourrir la réflexion et la pratique des enseignants. Les colonies de vacances sont aussi des lieux ou des lycéens deviennent des jeunes. Je suis prof en lycée avec des élèves de terminale, qui pour certains, vont faire leur première colo de l’autre côté de la barrière, comme animateur. Il se passe plein de choses, tout cela les fait grandir.
Je le vois aussi en tant formateur à l’INSPé de Paris. Chaque année, je forme des profs débutants. Certains ne sont pas jeunes car ils se reconvertissent. D’autres sont très jeunes. Mais ce qui va faire la maturité de ces derniers, ce qui va faire qu’ils sont plus ou moins à l’aise avec des jeunes, qu’ils vont savoir ce qu’est le négociable et le non négociable, ce sont les expériences d’encadrant en colo. Parfois quand j’en vois certains très jeunes je me dis qu’ils vont avoir du mal. Et je me trompe car ils ont déjà vécu une expérience grâce aux colos. Ils ont déjà compris des choses essentielles, comme l’importance d’établir en premier lieu un contact, une relation. S’occuper d’ados c’est être en permanence dans la négociation. Mais ce qui est important c’est de savoir ce qui est de l’ordre du négociable et du non négociable. Quand on est animateur, on apprend que l’important ce n’est pas forcément d’être au centre. En centre de loisirs, les enfants peuvent jouer. Le rôle de l’animateur est de savoir installer le lieu. Les colos et centres de loisirs proposent un environnement où l’enfant peut jouer seul, en sécurité. On devrait s’en inspirer dans l’éducation pour sortir du frontal et passer du « face à face » au « côte à côte ».
Propos recueillis par Elise Roinel
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